LE TRÈS GRAND HÔTEL
Depuis 2015, de nombreux mouvements citoyens se sont développés à travers des pratiques et des actions d’hospitalité et d’hébergement solidaire pour accueillir des personnes en situation de migration comme un contrepoint aux dispositifs d’accueil d’urgence saturés et standardisés générant une distance sociale envers celles et ceux qui cherchent refuge dans la ville.
C’est dans l’intimité d’espace domestiques, aussi bien que sur place publique, que des hôtes et habitants locaux ont développé de manière plus ou moins organisée; individuellement, au sein de collectif, d’associations et de réseaux d’entraide, des gestes quotidiens de soin et d’attention : un art de prodiguer un accueil tissé en de multiples tissus relationnels, au sein même de la ville et de sa communauté, tendant à développer un territoire habitable, « le Très Grand Hôtel », une constellation d’espaces et de pratiques.

La recherche consiste à valoriser les savoirs-faire générés par ces mobilisations citoyennes et les proclamer comme innovation sociale au regard des défis migratoires auxquels l'action publique sera toujours confrontée. Il s'agit là de définir des outils et des stratégies d'accompagnement pour reconnaître, rendre visibles, équiper, articuler et amplifier ces pratiques collectives d'hospitalité civile.
Une recherche orientée sur la notion du « chez-soi » questionnée à travers les pratiques d'accueil solidaire, une habitation partagée où l'on invite et où l'on est invité. Une recherche à la rencontre de ces hôtes et foyers, pour mieux comprendre l'ampleur du phénomène qu'inventent ces petits gestes : ouvrir une porte, aménager une chambre, partager des repas, une intimité, un quotidien. Considérer l'accueil solidaire comme des actes d'hospitalité, dans leurs richesses comme dans leurs limites, démontrer alors la nécessité de les reconnaître, de les soutenir et de les intensifier.

Un travail de terrain, recueillant des témoignages, déployant mes outils et mon regard d'architecte, de l'anecdote aux récits de vie, avec l'observation et le dessin comme traduction et représentation de l'hospitalité. Observant le déploiement des organisations et transformations spatiales, les aménagements et scénographies de l'hospitalité qui s'inventent, allez voir jusqu'où l'espace résiste à l'hospitalité. Questionnant alors la nécessité d'une telle organisation, reconsidérant le sentiment d'appartenance, comme avant tout fondé sur les mœurs, les usages, les coutumes. Enfin, porter un autre regard sur la maison, à travers la spatialité de l'hospitalité, ses dimensions invisibles, matérielles, immatérielles et relationnelles
A partir de gestes, d’espaces, de l'intensification de tout ce
qui existent déjà aujourd'hui vers ce qui doit advenir demain. Construire le « Très Grand Hôtel » à Paris et ailleurs, c'est inventer des tactiques urbaines, inspirées des pratiques d'hospitalité, pour la faire s'intensifier, s'accroître et se multiplier. Étudier, décrire, comprendre, questionner, accompagner ces gestes d'hospitalité pour les rendre visibles, dans un quartier, une ville, et au-delà. Connecter une communauté en créant des liens, en mettant en réseau et mutualisant, des disponibilités, des savoirs et savoir-faire, des outils, des ressources, des espaces, des histoires, des questions et réponses conquises par expérience. Cultiver l'hospitalité d’un territoire à travers un processus intégré de relations, considérant chaque acte qui fait d'un étranger un invité, comme l'épaisseur même des villes passées et futures.

À Paris, Bruxelles et tout autour de la Méditerranée, le Très Grand hôtel se déploie dans le tissu urbain, dans la vacance disponible et à mettre à disposition. Ce ne sont pas des espaces vides à occuper mais des lieux à cohabiter, à relier et à lier. Considérant que ce ne sont pas les murs qui rendent l'hospitalité respirable mais les relations qui se tissent entre eux.
D'un canapé dans un salon, une chambre dans une maison de famille, une chambre d'hôtes disponible, un appartement entier à un immeuble vide, pour quelques jours ou plus, une constellation existante de pièces compose l'architecture diffuse du « Très Grand Hôtel ». Un bâtiment clandestin, morcelé mais articulé, fort de ses liens, inscrit dans la ville, adossé aux ressources environnantes.
Les chambres du Très Grand Hôtel surplombent la ville, le quartier, le paysage. Les pratiques d'hébergement solidaire des 18e et 19e arrondissements de Paris se diffusent autour d'un lieu-dit « la Cour du Maroc » où inlassablement depuis trois ans, résidents et voisins du collectif « Les P’tits Dej’s Solidaire », se retrouvent chaque matin pour le petit déjeuner, pour offrir un café ou thé chaud, pâtisseries et autres surprises.
Ici les gens se rencontrent, apprennent à se connaître, mangent, reçoivent des informations et des conseils, font la fête, dansent, et plus encore. De l'implication citoyenne à d’autres lieux alentours, un intense réseau de mobilisation de partenaires solidaires se densifie un peu partout dans le quartier : des dizaines de boulangeries, un théâtre, plusieurs cinémas, des restaurants, un supermarché, des municipalités, des écoles nationales et internationales, des artistes et chercheurs, une bibliothèque municipale, une librairie et plus encore.
Considérant la Cour Du Maroc comme le prolongement public de la constellation de chambres du Très Grand Hôtel, nous l'appelons « la Réception ». Lieu d'hospitalité ultime dans chaque hôtel, c'est ici un lieu public, une architecture relationnelle, un phare dans le territoire, un haut lieu d'implication, de rassemblement, d'orientation et de soins. C'est le lieu d'où peut se générer une dynamique d'hébergement solidaire, accompagnant les personnes en recherche d'aide comme les personnes aidantes. Augmentant la réalité urbaine d'un territoire, la réception abrite le plus nécessaire des besoins : nous rassembler et nous rapprocher. Une architecture dessinée comme un prolongement de la vie qui s'y déroule, manifestant la joie qui retentit chaque fois qu'un geste transforme un étranger en hôte.
La Cour du Maroc est un espace public dont l’histoire est faite de mouvements de rassemblements et de mobilisations. A deux pas des voies ferrées de la Gare de l'Est, aux portes de la ville qui est née et a grandit avec, et non contre, l'arrivée des étrangers.
Elle prend place sur une ancienne friche SNCF où dans les années 1990, voisins solidaires, chapiteaux et fête se disputaient le terrain avec la municipalité pour faire advenir un projet de parc. En 2007, les architectes paysagistes Michel Corajoud et Georges Descombes ont offert aux habitants un beau parc, d'une grande richesse et d'une grande simplicité, inscrit dans l'histoire d'un site, dessiné dans une linéarité généreuse, faisant honneur à la vie associative. C’est ainsi, sous des actes d'hospitalité, à l’écriture multiples et sédimentées que se compose le contexte du Très Grand Hôtel. Cette architecture encore à venir, est à portée par ces différentes écritures et ne doit cesser de les porter, de les magnifier ensuite, de les faire résonner.
Architecte
Dessinatrice
Recherche action

Pour l'association parisienne
(pôle d'exploration des ressources urbaines)
Avec le collectif

Chargée du projet "Très Grand Hôtel"prenant part à une requête auprès de l'UNESCO pour inscrire l'acte d'hospitalité comme un patrimoine culturel immatériel mondial de l'humanité.





PEROU






P’tits dej’s solidaire